CONFERENCE
/ DEBATS
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MUSEE DE LA MINE COURIOT |
SAMEDI
22 NOVEMBRE
14H00 |
3
BD. MAR. FRANCHET D'ESPEREY
ST-ETIENNE |
LES MUTATIONS DU TRAVAIL avec la participation de YANN MOULIER BOUTANG GERARD BRICHE |
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Pour cette cinquième
édition du festival AVATARIUM, l'espace conférence s’ouvre
aux questions actuelles des mutations du Travail en accueillant deux
invités: Yann Moulier Boutang et Gérard Briche. Il a traduit de l'italien Mario Tronti (Operai e capitale), de nombreux textes d’Antonio Negri et du courant operaiste. Principaux
ouvrages: Articles
récents: Gérard Briche
du Collectif Krisis (Nuremberg). REFUSER
LE TRAVAIL, C’EST BIEN... DEPASSER LE TRAVAIL, C’EST MIEUX Qu'est-ce que montre le film "Attention Danger Travail"? Il montre des hommes et des femmes qui ne veulent plus, qui ne veulent pas du travail. Refuser le travail,
ça semble à première vue proprement scandaleux.
D'ailleurs, et le témoignage de V. le montre, on se sent coupable
de refuser un travail alors que tant de chômeurs sont eux, à
la recherche du travail. Et il faut bien travailler pour avoir de quoi
vivre, pour avoir accès aux bien de consommation... Ce n'est pas l'homme qui consomme: c’est le travail qui consomme l'homme Certes, plus encore que l'accès aux moyens matériels d'existence, le travail est dans cette société le mode même de l'existence. On travaille pour gagner sa vie; et, comme le constate Y., ancien chef d'entreprise et chômeur épanoui, "gagner du fric pour tenir ce système de vie". Oui, ce "système
de vie" où on travaille, non pour produire quelque chose
d'utile, d'enrichissant pour l'homme, mais pour avoir de l'argent. Pour
consommer ce qui n'a été fabriqué que pour être
acheté par des gens qui travaillent pour gagner de l'argent pour
consommer ce qui n'a été fabriqué que pour... Que le travail mutile l'homme, que vivre n'est guère plus que "survivre", l'exemple de la chaîne le montre de manière poignante ; mais les travailleurs du télé-marketing en sont une actualisation frappante. Ou les livreurs de pizzas: "pas de temps à perdre... on est là pour bosser!" Refuser la soumission au travail: une réaction de bonne santé J., ex-ouvrière enfin heureuse nous en donne le témoignage encourageant: on peut exister hors du travail, c’est même alors qu'on vit vraiment. Mais la solution est-elle "d'apprendre à vivre sans travailler" comme le suggère P., chômeur militant, quitte à avoir un "train de vie" modeste qui, pour le productivisme ambiant, constitue une provocation? Réaliser, comme V., que "le travail n'est pas forcément une fin en soi", est un début encourageant. Mais en tirer comme conséquence que "comme le chômage existe, il faut en profiter", c'est ne faire que la moitié du chemin. Refuser de "perdre sa vie à la gagner", c'est une bonne chose ; vivre le chômage comme une guérilla avec le "système" est une excellente chose. Mais le travail, ce n’est pas seulement le travail ennuyeux ou abrutissant: tout travail, dès lors qu’il est inséré dans le processus d’échange contre de l'argent, n’est que travail "abstrait", c'est-à-dire qu'on produit n’importe quoi, pour autant que ce soit vendu. Réaliser cela, c'est la première étape d’une critique radicale de ce monde. Critique du travail, critique de la valeur Un produit quelconque dont l’intérêt réel est indifférent pourvu qu’il soit vendable par n’importe quel moyen, ça s’appelle une marchandise. Et si la "sacralisation du travail" est caractéristique du productivisme, comme l’explique Loïc Wacquant, c’est parce que la valeur d’une marchandise n’est que la coagulation du travail "abstrait" contenu en elle. Critiquer le travail, c’est refuser un travail dont la fonction essentielle est de développer toujours plus l’échange de marchandises à l’intérêt réel toujours plus indifférent. Car ni le produit, ni le producteur n’importent : seuls importent la production toujours plus importante et l’échange toujours plus large, dans le but de l’augmentation croissante de la valeur en circulation. Le problème, c’est que cette société du travail et ce monde du productivisme fonctionnent de plus en plus mal. A la suite de l’apparition de machines permettant une forte productivité avec peu de travail humain, le mécanisme "tautologique" de valorisation de la valeur en arrive à mettre hors circuit de plus en plus de travailleurs désormais superflus. Crises insolubles, guerres inextinguibles: autant de symptômes d’un erègne de la barbarie" dans lequel les sorties de secours et autres "systèmes D" ne sont que des solutions trompeuses, certes gratifiantes mais sans doute intenables à moyen terme... L'espoir réside alors dans les mouvements de rebellion qui partout dans le monde se font jour, pour autant qu’ils parviennent à sortir de la cage de fer des "blocages mentaux" (Loïc Wacquant) qui empêchent, non "d’apprendre à vivre sans travailler" dans une société du travail, mais d’imaginer vivre "au-delà du travail" dans une société qui, d’avoir éliminé travail, échange et valeur, serait une société où les hommes vivraient en commun, tout simplement. Rêverie utopique? pas du tout! pour avoir davantage d’informations: visitez le site http://www.krisis.org
L'autre
globalisation: le revenu d'existence inconditionnel, individuel et substantiel Selon Yann Moulier
Boutang il y a quatre solutions possibles à la crise de l'Etat
Providence Un crédit d'impôt ou une allocation universelle
d'un bas niveau, accompagnées du démantèlement
des systèmes de protection du travail salarié. À
l'autre extrême le renforcement du système de protection
du travail salarié: SMIC et droit du licenciement rendu plus
contraignant, la logique de ces mesures s'inscrivant dans un retour
au plein emploi, il est proposé aux précaires l'utopie
du salariat universel. Une position intermédiaire autour du relèvement
des minima sociaux. Et le revenu universel inconditionnel et d'un niveau
suffisant, rendant le travail moins infernal en élargissant les
espaces de liberté. La quatrième solution entre en résonance
avec le basculement vers le capitalisme cognitif et permet de dépasser
les limites d'une stratégie de résistance pure. L'espace des solutions de la question de la pauvreté
La troisième solution, beaucoup plus pratiquée parce que moins extrémiste et plus réaliste, tente d'épouser le plus possible la composition déjà réalisée du revenu garanti. Ce revenu garanti peut avoir été atteint par les salariés en augmentant progressivement la part du salaire social et en la rendant indépendante des aléas du marché (ce que l'on appellera le salariat affaibli sous feu le socialisme réalisé). Il peut aussi avoir été obtenu en affranchissant le salaire de l'arbitraire de l'employeur grace à des statuts comme ceux de l'emploi à vie japonais (remis en cause aujourd'hui), ceux de la fonction publique en France ou enfin par les accords collectifs signés par le syndicat américain des ouvriers de la construction automobile. Mais il ne faut pas non plus oublier que ces mesures sociales reconnaissent aussi les niveaux de revenu garanti soustraits à l'incertitude de l'emploi conquis hors de l'entreprise, hors du salariat dans la société, comme la protection médicale universelle (CMU), les allocations familiales, l'aide aux personnes âgées, les aides sociales locales. Il suffit de regarder en détail la complexité formidable des systèmes de protection nationaux ou locaux pour lire la poussée déconnectrice qu'exercent les salariés vis-à-vis de la productivité d'entreprise, vis-à-vis de la contrainte au travail dépendant. L'abaissement de l'âge de la retraite, la réduction du temps de travail, bien loin de s'opposer à ce découplage revenu/travail salarié ou travail dépendant du marché, en sont l'expression la plus forte. En fait ce qui apparaît, c'est bien un quatrième pôle, celui de la déconnexion, de l'inconditionnalité qui se croise avec la question du niveau de revenu. Le tableau suivant représente alors les quatre solutions possibles et, à côté des trois premières que nous avons examinées, il faut faire apparaître le revenu d'existence inconditionnel, universel, individuel. La discussion académique et le débat politique, depuis que le chômage s'est avéré beaucoup plus coriace que ne le pensaient les macroéconomistes, a tendance à se polariser exclusivement sur les trois vieilles solutions. Les quatre coins des
politiques sociales en matière de garantie de revenu Ces quatre solutions - et non plus trois - définissent un espace qui permet des combinaisons hybrides multiples. Le RMI français participe en un sens du revenu d'existence, car il reconnaît le droit à recevoir du revenu déconnecté du salariat et du travail, mais le maintien du "devoir d'insertion", son bas niveau, l'interdiction de le cumuler avec un travail (salarié ou non salarié) tant soit peu conséquent, son caractère largement lié à la composition du ménage, sa complémentarité par rapport aux minima sociaux existant en fait un hybride. La prime pour l'emploi (PPE) introduit la cumulativité partielle, mais recule sur le plan de la déconnexion avec le salariat classique. Le problème des politiques menées ces trente dernières années, celles d'une désagrégation lente des fondements de l'État-Providence, est qu'elles ne se tournent jamais franchement vers la quatrième solution, à la fois réformiste et révolutionnaire. La gauche "travailliste" ou "salarialiste" reste fixée à l'idée que l'entreprise fordiste est le coeur de la valeur et que le salariat est son prophète. Le problème de ces vestales du socialisme, maintenant qu'a disparu le socialisme réel qui avait constitué une forme d'affaiblissement assez stable du salariat (mais de généralisation du travail matériel), est que le capitalisme ne fonctionne plus sur cette base, ni sur cette religion. On pourrait dire, comme le fait P. Van Parijs, animateur du BIEN (Basic Income European Network) depuis plus de dix ans, que toutes ces mesures nous conduisent sur le chemin du bien, du souhaitable: de l'allocation universelle de Y. Bresson au Revenu Social Garanti d'A. Gorz, en passant par le revenu citoyen d'A. Caillé. Mais avec l'affaiblissement de la crédibilité des trois premières solutions, qui ont épuisé leur rôle progressiste, il devient urgent de clarifier les choses. Elles servent surtout aujourd'hui à repousser la perspective radicale du revenu inconditionnel garanti, à freiner une nouvelle donne radicale aussi bien dans les pays du centre que dans la périphérie[6]. Ce qu'est le revenu d'existence en définitive L'axe de l'inconditionnalité
ou de la déconnexion, ainsi que celui du niveau de richesse sociale
auquel il donne accès, ne constituent pas les seuls caractéristiques
de la quatrième solution. Les caractéristiques déterminantes
du revenu d'existence ou revenu de citoyenneté sont en effet
au nombre de neuf: Contrairement à ce qui a été dit, en particulier, par le Rapport Belorgey et par J.M. Harribey[7] il ne s'agit pas d'une mesure néo-libérale. Si les libéraux l'envisagent lucidement, c'est parce qu'ils entendent prévenir l'éclosion d'un mouvement de fond et de lutte parvenant à imposer un niveau élevé de "salaire social". Le passage au troisième capitalisme et les transformations du salariat Les partisans du "salariat
universel" accusent souvent les partisans du revenu universel de
ne pas avoir de vision macroéconomique ou de ne pas insérer
leur dispositif dans une analyse du capitalisme. Mais la réalité
est exactement le contraire dès que l'on a affaire à la
version de gauche du revenu d'existence. Alain Caillé dans sa
critique de l'économie de l'échange marchand au nom de
l'économie du don, André Gorz avec sa théorie de
"l'exode" du capital, ne sont pas des suppôts du néolibéralisme.
La thématique du revenu garanti , du salaire politique a été
l'un des ferments de l'operaisme italien, qui lui a permis de comprendre
les nouveaux mouvements sociaux. Ceux dont je suis, avec quelques uns
des contributeurs de ce dossier ou du numéro 2 de Multitudes,
qui défendent la thèse qu'est en train d'apparaître
un troisième capitalisme, le capitalisme cognitif, et qu'il s'agit
d'un véritable "basculement du monde" (Michel Beaud),
pensent que le salariat est lui aussi en train de connaître une
mutation . Cette mutation du salariat n'est pas une conséquence
de la révolution technologique des NTIC, elle en est la raison
profonde. Lorsque le capitalisme marchand eut de plus en plus de mal
à faire fonctionner le travail dépendant réduit
à l'esclavage ou asservi, il fut contraint de faire place progressivement
(et avec une énorme résistance de sa part) au salariat
libre. Ce salariat libre conquis par les esclaves tendit rapidement
à un nouvel esclavage, et il fallut les batailles du mouvement
ouvrier pour aménager l'esclavage du salariat en conquêtes
sociales. La plus importante fut le salaire social. [1] Voir les contributions de M. Lazzarato et de M. Heim dans ce numéro. [2] Voir la contribution de J.-M. Monnier dans ce même dossier [3] Y. Bresson est plus prudent en acceptant le maintien de certaines prestations dans son dernier ouvrage, mais dans l'optique de M. Friedman (1962) ou de politiques comme A. Madelin, ce projet est assez clair. Les adversaires du revenu inconditionnel d'existence dans sa version de gauche exploitent cet argument à fond. Voir la réfutation de M. Heim dans ce numéro. [4] Termes utilisés par B. Friot dans le dernier numéro d'Ecorev [5] Terme heureux forgé par Franco Berardi (Bifo) conjuguant prolétariat et travail cognitif. [6] Multitudes reviendra, dans un dossier consacré au Sud, sur le projet déposé par le sénateur Edouardo Suplicy d'un revenu de citoyenneté au Brésil. Voir son livre Renda de Cidadania, A saida e pela porta, Cortez Editora, février 2002, Sao Paulo. [7] J.M. Harribey dans le dernier numéro d'Ecorev (références citées ici) |
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PRODUCTION
AVATARIA |