"Nous ne manquons pas de communication, au contraire nous
en avons trop, nous manquons de création, nous manquons de résistance
au présent" (réf. Deleuze et Guattari).
No comment... Qu'est ce que tu veux
rajouter à ça? Oui, c'est la communication du vide marchand qui
devient le processus ontologique de la condition humaine, après le problème
est effectivement: qu'est ce qu'on fait avec ça, comment on s'en sort?
Est ce que l'on peut faire de l'art avec ça? De toutes façons,
même si on ne peut pas, dans ce cas là on s'arrête... S'il
y a une possibilité, il faut arriver à faire de cela la plate-forme
de base. Le cycle de la marchandise est en train de générer, sans
doute, ses propres crises métaphysiques et c'est cela qui m'intéresse.
A la limite, je suis complètement d'accord avec ce qu'ils disent, mais
comment va t'on faire, à partir de cet état là, pour créer
quelque chose?
Pour rebondir, puisque tu as aborder un peu le thème, peut
on parler de Debord - La société du spectacle - Raoul Vanheigen?
Les situationnistes ont proposé
une lecture d'une sorte d'état limite, on l'a bien vu dans les trente
dernières années, il y a eu encore d'autres limites qui ont été
reposées par ce même cycle de la marchandise. Même une civilisation
comme celle là produit, peut être même sans le vouloir, des
cataclysmes artistiques d'une certaine manière, peut être qu'il
faut juste arriver à les décrypter. Tout est devenu opaque parce
que tout est devenu égal. Toutes les formes de pensées, toutes
les formes de créations même, ne sont même pas broyées
mais débitées dans ce cycle. C'est difficile de produire une crête
aujourd'hui, par exemple dans le cycle marchand du livre, ou celui de la musique.
Tu vois à quelle vitesse un mouvement, assez original au départ,
comme la techno, a engendré maintenant une situation où il n'y
a pas un clip publicitaire sans techno. On voit bien que le cycle marchand avale
tout aujourd'hui, ce sont quand même des situations un peu nouvelles.
Même si tu engendres un acte créateur, le cycle marchand, tranquillement,
sans même l'air d'y toucher, le recycle. Ce qui me fait peur en ce moment,
c'est que je vois bien la pompe s'amorcer pour que je devienne un nouveau fétiche...
Une marchandise?
oui c'est clair. Debord l'avait prévu en 1967, tout ce délire de la
récupération lui était évident...
Cela dépasse même
le stade de la récupération, on ne peut pas y échapper.
C'est comme, pour le moment, une espèce de fatalité et moi
je n'ai pas de solution dit honnêtement, sinon par l'exil, l'isolement.
Ça ne reste plus que des solutions en négatif, mais ce n'est
pas un constat d'échec, c'est un peu comme un jeu de stratégie
tout cela. De temps en temps, il faut faire retraite pour pouvoir réavancer.
Cela se fait collectivement?
Le problème est que
plus ça va, plus je vois bien que je me sépare des processus
collectifs. Je m'en sépare parce que j'y suis obligé, parce
que ce sont eux qui m'intéressent comme déterminismes sociaux.
Il ne faut pas que je sois prisonnier de l'un d'eux, donc il faut que
j'assume cette position. Comment cela se fait il que ton dernier livre se soit retrouvé
en "facing" à la FNAC?
Je n'ai pas le droit de le
dire mais je prends ce droit: il faut admettre que c'est la machine Gallimard
qui, d'un commun accord, lors d'une sorte de consensus qui à un
moment donné s'établit, décide de mettre le paquet
sur un auteur. Tu sors de la Série Noire, tu rentres dans La Noire...
Oui il y a ce processus là,
mais ceci est un peu indépendant en fait. Le vrai truc est: "Qu'est
ce qu'on fait de ce livre?" Il faut savoir qu'il y a beaucoup de
livres qui sortent tous les mois chez Gallimard, dans la Série
Noire et dans La Noire (6 par mois pour La Noire et
la Série Noire donc cela en fait 70 par an). Que penses tu d'éditeurs comme l'Esprit Frappeur qui vendent
leurs livres 10F; il ne s'agit pas du même niveau de "propagande"
et le but est de répandre de manière massive des textes
vraiment intéressants, écrits par des associations comme
le CIRC.
Oui, on peut effectivement
se considérer comme un grain de sable dans la machine. Ce qui compte,
c'est ce que tu fais à l'intérieur du cycle marchand, et
comment tu arrives à, si possible, en détourner le flux,
ou le couper, un peu à la Deleuze. N'y a t'il pas un peu de fierté à faire tout cela?
Si, je suis un homme un peu
orgueilleux, il faut le reconnaître. C'est un petit peu l'orgueil
du kamikaze... Par rapport à tout ce que tu as dit depuis le début,
les mots "marchand" ou "marchandise" revenaient très
souvent, cela me fait penser à un album de Stiff Little Fingers
où la pochette est un code barre (Nobody's Heroes, 1980) qui devient
les barreaux d'une cellule de prison avec un homme derrière qui
y est accrochés. Je me demandais si tu n'avais pas une troisième
idée par rapport à ceci : "Lucide mais indigeste."
Oui il y a de ça.
C'est comme un organisme qui se fait bouffer par un autre organisme. Le
challenge est: est ce que tu peux te transformer en virus de l'organisme?
Est ce que tu peux changer le programme, qui fait que l'organisme en question,
du coup, devient autre chose? On en revient à la philosophie, qui
pour moi est liée au fait de conserver, jusqu'au bout, un état
de lucidité sur toi même. Et si tu arrives, en plus, à
repérer des chemins possibles en nous, c'est pas mal. Même
si on sait qu'on travaille jamais que sur des zones d'ombre inconnaissables,
c'est bien d'en avoir au moins conscience. Ça pousse à l'humilité ce que tu dis?
Oui bien sûr, mais
la machine marchande te ramène tout de suite à ta petite
dimension microscopique, tu n'as pas le contrôle effectif. Jusqu'où va ta sincérité? Comment te situes
tu par rapport à Deleuze et le texte que j'ai entendu tout à
l'heure dans Schizotrope, texte qui ne parle pas que de "marchand"
mais aussi de "Dieu" et "d'organe"? On a l'impression
que c'est un texte dont l'optique est révolutionnaire, ésotérique.
Il s'agit d'un texte de Deleuze
sur Nietsche. A mon avis, c'est le seul texte qui, réellement,
rend un peu explicite la pensée de Nietsche qui est loin
d'être monodimensionnelle. Exactement, c'est un texte très profond, mais qui manquait
presque de convictions, qui semblait dicté par rapport à
l'intensité visionnaire du truc.
C'est possible... J'ai trouvé ça plus dogmatique que lorsque tu entends
la voix de l'auteur avec toute sa dimension spéciale. Alors que
là, le fait de la voir retranscrite sur scène, il manque
une dimension autre.
C'est la part de risque de
l'incarnation...
Je voulais savoir comment tu te situais par rapport à ça?
Moi, je fais des textes de
Deleuze ma propre interprétation, je peux pas les lire autrement
que par moi même.
Par rapport à ça, pourquoi choisir un texte de Deleuze
sur Nietsche, alors qu'il a écrit pleins de textes qui parlent
d'autres choses.
On a essayé de couvrir,
autant que possible, l'oeuvre de Deleuze. Il y a des textes tirés
de l'Anti-Oedipe, des textes tirés du Plan ou du
Nietsche.
C'est quand même Nietsche qui revient souvent...
Non non, le seul texte tiré
du Nietsche, c'est le texte final sur la mort de dieu, c'est tout.
C'est un texte qui explicite ce que Nietsche entendait par la mort
de dieu, ça me paraît important aujourd'hui. C'est le texte
conclusif, tout le reste ce sont des textes sur la schizophrénie,
sur les concepts de machine organe. Je ne peux pas me définir par
rapport à ça, rien que la définition d'écrivain,
des fois... Ce n'est pas sûr, déjà, que je sois un
écrivain, ce sont les générations futures qui en
décideront.
Tu es en devenir écrivain?
Oui, il l'a bien dit, je
suis dans le devenir écrivain.
J'ai même lu que tu étais dans la lignée
des "cyber-polars"?
- Mais on s'en fout
Non, non, il ne faut pas
s'en foutre! Moi je n'ai pas le droit de m'en foutre. Que tu t'en foutes ou pas, ce n'est pas le problème, mais
est ce que tu prends du recul par rapport à ça? Le cyberpolars
ça ne t'intéresse pas?
Oui je m'en fous mais le
recul est nécessaire, moi j'en arrive à des problématiques
dans le rapport avec la machine médiatique, qui sont le préformatage
des propres pensées des journalistes, puisqu'ils sont de toutes
façons déjà préformatés, alors, évidemment,
c'est même très difficile, pour autant que tu veuilles essayer
de déformater leurs questions, c'est un processus qui leur échappe
parce qu'ils retombent toujours sur leurs petites boîtes, leurs
petits modules à questions dans lesquels ils veulent que tu rentres.
Ils entendent déjà, à l'avance, la réponse.
Or, le truc qui se passe le plus souvent, et cela je l'ai remarqué
avec terreur, quand je vois des collègues écrivains que
je connais un peu dans la vie, c'est qu'ils se transforment soudainement
sur un plateau de télévision ; et ce sont des gens qui se
considèrent trash-punk, ils ne "travaillent" plus, ils
changent de formatage, ils essayent de vendre leur soupe. C'est un truc
de pur orgueil chez moi, mais je ne peux pas le supporter.
Je pense que tu as envie d'être ta vraie nature, et si tu es
en face de personnes qui veulent la transformer, pourquoi ne pas leur
dire vraiment ce que tu as dire sans compromis?
Même, ça ne
marche pas... même le scandale, le outing de l'acte outrageux...
Est ce que toute production de son est musique, est ce que toute production
verbale est littérature, est ce que toute production d'image est
cinéma? Je n'en suis pas certain, je préfère me voir
dans un état d'écrivain.
Ici tu as fait un spectacle à partir de textes de Deleuze,
aujourd'hui tu écris, à la limite le fait qu'on dise que
tu es écrivain ou pas, ce qui fait peur la dedans, c'est qu'il
y ait des gens, un jour, qui puissent dire ce type là a été
la réponse, une doctrine.
Le truc, ils font que nous
en tant qu'artistes, on arrive à se définir comme des flux
et plus comme des états. Passons aux choses sérieuses, ce
n'est plus ces catégorisations le truc terrible c'est que les écrivains,
et dans bien des cas les artistes, se trouvent correspondre aux portraits
de la servitude volontaire: à partir du moment où t'es publié,
et qu'on dit que tu es un écrivain de polar, boom soudainement,
c'est presque devancé, c'est comme si les écrivains entendaient
rentrer dans les cases du marketing de l'édition, de manière
plus ou moins consciente mais, j'ai l'impression maintenant, de plus en
plus de manière calculée.
En fait, c'est comme s'il fallait que tu rentres avec certains paramètres,
pour produire les bonnes sorties
Je me suis servi d'une contingence
particulière: les gens de la Série Noire m'ont fait
confiance, m'ont dit "ça a l'air pas mal ce que tu fais, fais
d'abord une sorte de série noire classique, mais en revanche fais
ce que tu veux", je parle de la Sirène Rouge, c'était
plutôt un acte sympathique, ils sentaient qu'il y avait une part
de prise de risque, un peu de prudence aussi, chose que je peux admettre.
Dès le deuxième, la prise de risques a été
évidente. Mais, c'était plutôt correcte comme attitude.
Mais du coup, on en a pas mal parlé ensemble, je leur ai dit que
je ne me considérais pas comme un écrivain de polar. Ils
m'ont dit mais "t'es quoi?"
Et tu as dit au hasard "cyber-polar"?
A l'époque je n'avais
pas compris tout ça, un journaliste de province, à Chambéry,
a fait un jeu de mot improvisé avec "neuro-polar" pour
"néo-polar"
En référence à Jean Patrick Manchette?
C'était un peu une
joke les gens pensent toujours que je suis un espèce de "Nerd"
Ma situation devient complexe, je vois bien que même le virus devient
à la mode.
Pourquoi as tu forcément besoin de te positionner?
Quand tu es dans la pression
médiatique, les justifications sont constamment demandées.
Les pires virus (informatiques) sont ceux qui n'existent pas.
"Le mot est un virus, le mot possède l'unique caractéristique
du virus, c'est un organisme sans aucune fonction interne autre que celle
de sa propre production" (W. Burroughs)
Oui je me souviens de cet
interview, ce sont des trucs qui marquent, je me souviens que Laurie
Anderson avait repris ça
Oui, elle dit "langage is a virus from outerspace"
A partir du moment où
tu sais qu'un virus est un morceau de code génétique, c'est
simple. C'est uniquement un morceau d'ADN, en référence
à ce que dit Deleuze sur les schémas d'évolution
latéraux ou rétrogrades, je pense que tous les schémas
évolutionnistes sont en train d'exploser, par exemple, un organisme
comme l'être humain s'est progressivement agrégé autour
d'une souche génétique de type Homo, mais on a certainement
intégré pleins de choses, peut être des virus qui
ont fini par réellement s'intégrer dans le génome,
peut être des parties de codes génétiques d'autres
animaux donc en fait on est vraiment plus du bricolage multi-identitaire.
Après le langage est un virus, oui mais qu'est ce qu'on va pouvoir
en faire et W. Burroughs, c'est clair c'est une bombe atomique
dans un champ littéraire.
On pourra le mettre dans la prochaine interview: "les mecs comme
Burroughs, ce sont des bombes atomiques dans un champ littéraire".
Non, vous ne pensez pas?
Pour en revenir aux virus, tout dépend du langage qu'on utilise
le langage a un pouvoir un virus peut faire référence à
une épidémie.
Oui mais ce qui est important,
c'est qu'un virus est véhicule d'information
Quand tu parles de virus, on a l'impression que tu en parles comme
si tu avais analysé ce qu'est un virus. On vit à une époque
où peut être 90% des gens ne savent pas exactement ce qu'est
un virus, c'est une manière de communiquer un peu bizarre...
Milosevich est un virus aussi aujourd'hui, une interprétation du
mal
Attention, la distinction
est trop facile entre bien et mal je crois à la banalité
du mal, comme Hannah Harendt.
Il y a le virus lui même
Et l'organisme dans lequel
il va s'intégrer. Le virus n'est pas bien ni mal, tout dépend
de l'organisme dans lequel il s'intègre. Le traitement de l'information,
c'est une des sphères du flot continu de l'économie. moi
j'appelle ça l'état schizopherique terminal du capitalisme.
C'est carrément la machine miraculente, il produit du miracle le
capitalisme, il produit des chimères, il produit des clones, il
va produire des nouveaux êtres artificiels, je pense l'on va vers
la biodiversité.
Ce que tu es en train de dire soulève deux trucs. Primo on
est dans un feu, et il y a des gens qui vont annoncer une espèce
de fin pour une renaissance.
Non, c'est impossible.
Tout à fait. Il faut donc tout un tas de mouvances qui tendent
à expliquer ça: on est dans un système où
de nouvelles technologies vont arriver, arrivent même, et vont créer
une espèce de mort d'un système, on arrive à une
étape. On va passer à autre chose, ça ça me
fait rire. Deuxièmement, parlons des êtres artificiels, comment
veux tu essayer de modéliser un comportement cognitif, ça
c'est le projet américain, il y a aussi le projet anglais "Global
Catcher". Comment donc modéliser un système cognitif
sans introduire le mal? l'interrogation à ce niveau là est
primordiale, car dans la recherche, la tendance est de toujours minimiser
l'erreur. La notion de chaos est essentielle, parce que si tu arrives
à une modélisation de système cognitif qui est parfait,
on arrive a un e machine de plus en plus humaine, mais c'est quoi l'homme?
c'est un homme machine? un homme de plus en plus machine? non, l'homme
c'est la chaos, la violence et tous les systèmes cognitifs que
l'on est train de produire, je parle de la France notamment, c'est tendre
à uniformiser l'homme, qu'en penses tu?
Je pense, que d'une manière
générale, les scientifiques ne savent pas vraiment ce qu'ils
produisent, mais ce n'est pas très important, ce n'est pas très
grave. Si tu veux, ils reculent les limites métaphysiques sans
même s'en rendre compte. Après leurs créations leur
échapperont, c'est ça qui est intéressant dans la
sciences, c'est pas très grave que leur métaphysique personnelle
ne soit pas adaptée à leurs travaux, enfin si, ça
peut avoir des incidences, mais malgré tout, il semblerait que
la vie arrive toujours à les dépasser, y compris leurs découvertes
qui sont des mécanismes opératoires sur la vie. Je crois
vraiment au mythe de l'apprenti sorcier.
Tu crois que ce sont des fantasmes, quels qu'ils soient, qui servent
à la recherche?
Ils ouvrent quand même
des boites dans la réalité, ils ouvrent des "black
box". Après ils s'y projettent.
Des "Pandora's Box"?
Oui des "Pandora's
Box" si tu veux, c'est ça qui est intéressant,
après c'est au artistes de faire des civilisations avec ça.
En fait, tu es optimiste, tu parles beaucoup de sciences mais aussi
de métaphysique, en fait tu bosses sur les liens entre les deux?
Oui peut être bien,
de toutes façons les machines cognitives qu'ils vont produire,
elles trouveront rapidement leurs limites, et si ils se mettent réellement
à se brancher sur la métaphysique, ils seront obligé
de rejoindre Poppere ou De Wandernicht
Mais est ce que ce n'est pas nous qui sommes obligés de travailler
beaucoup de notre coté, en contrepoids envers tout ça parce
que c'est clair qu'il y a beaucoup de pouvoir dans tout ça. Si
tu mets dans la balance d'un coté la technique, la science, la
médecine, là où se situe le pouvoir et de l'autre
coté tu trouves les gens comme Artaud et ses écrits visionnaires,
qui dit que lui il est de l'autre coté de la balance et qu'il comprend
en tant qu'"entité spirituelle", c'est vraiment très
puissant, une espèce de force invisible qui est très fébrile
parfois.
Oui, oui tout à fait,
la science elle fait partie du processus, elle est même le dénouement
du processus, les scientifiques ils ont le nez sur le guidon, mais ce
n'est pas très important là aussi, a moins que tout le monde
laisse tomber, qu'il n'y est pas d'investissement. c'est aussi possible
ça, si on admet qu'il y a encore des gens qui ne veulent pas laisser
tomber, biopolitique c'est la prochaine sphère dans laquelle il
faut s'investir, j'ai essayé de montrer ça dans "Babylon
Babies", les machines neuro-cognitives peuvent être, non
pas "détournées" dans leur usage mais réellement
trouvées leur plein usage au delà des limites normatives
qui leur ont été données. On peut remettre de la
métaphysique dans une machine, peut être qu'elles même
au bout d'un moment vont se concevoir comme des êtres métaphysiques
aboutis.
Ces machines, quand tu les crées, tu leur donnes un certain
apprentissage, elles sont capables lors de tests de réagir elle
même, mais j'ai plus un point de vue, si ce n'est pessimiste, du
moins plus noir par rapport à tout ça.
Ca n'empêchera pas
Attention, je ne crois pas à la fin de l'histoire
Oui, moi non plus!
La fin de l'histoire, c'est l'ultralibéralisme
Non, c'est un truc que tu
retrouves aussi dans le marxisme, dans pleins d'idéologies qui
pensait qu'à un moment donné, un ère messianique
au sens
On va changer l'histoire?
On va même l'arrêter,
on va rentrer dans une ère de paix, de liberté, de progrès
C'est Joel de Rosnay qui dit, le monde est beau, des nouvelles technologies
sont là. La question que je voudrais te poser, c'est comment ne
pas réintroduire du politique dans le quotidien des gens dans la
vie, politique au sens grec du mot "polis" la vie de la cité?
Oui mais si tu veux, le problème
c'est que même la notion de citoyen maintenant c'est quoi? C'est
une notion nihiliste, c'est "l'homme sans qualité" de
R. Musil, c'est une machine à voter le citoyen, et à
consommer, ou peut on réinjecter du politique? A mon avis dans
les formes d'art, et dans un jeu stratégique, avec les forces comme
la science, des choses comme ça.
Tu parles souvent d'art, d'artiste. Comment définis tu l'art,
les artistes?
C'est très difficile
à, définir, sans user d'aphorismes un peu radicaux, mais
on peut dire que l'art, c'est le moment où l'homme se retourne
contre lui même, je vois l'art comme un processus négatif
Alors, un artiste c'est quoi?
Un artiste, c'est quelqu'un
qui est capable de s'autodétruire suffisamment pour générer
une ouvre d'art, donc son challenge comme dit Houellebecq, c'est
de rester vivant, c'est à dire, déjà ne passe faire
flinguer à l'âge de 18 ans, en une seule fois, et donc on
peut voir l'art comme un théâtre d'opération. en fait
au sens un peu stratégique et militaire c'est a dire il y a des
enjeux, il y a une guerre qui se mènent entre des esthétiques,
avec en plus le cycle de la marchandise qui j'allais dire fais son métier,
de tourbillon
Est ce que ce n'est pas tout simplement un théâtre d'ombre?
C'est le plan platonicien,
je ne sais pas si c'est vrai, des fois je me pose moi aussi la question,
mais il ne semble pas. Deleuze dit un truc pas mal "l'ère
dans laquelle on entre quand même, malgré tout, je pense
qu'on entre malgré tout dans quelque chose, mais ceci dit, il n'est
pas possible de le dater réellement"
C'est dire on y entre, on en sort?
Oui, voilà en fait,
on n'arrête pas de se faire ça. Ce que je veux dire c'est
que ce moment là, où les forces qui sont à l'intérieur
de l'homme rejoignent celles qui sont à l'extérieur. Là
quand même la science et les technologies nous permettent un véritable
franchissement métaphysique, à partir du moment où
l'on sait que l'on pourrait s'auto-manipuler génétiquement,
pour guérir des maladies éventuelles, mais pourquoi pas
pour changer soi même.
Je voulais te parler d'un projet lancé par British Telecom,
"global catcher" (capteurs d'esprit), qui relate la fait suivant:
l'implémentation de processeurs dans le cerveau humain pour améliorer
les capacités de calcul de l'homme. Le responsable du projet tenait
ce discours: "les systèmes les mieux adaptés supplanteront
les autres" allusion au darwinisme social, l'homme est un prédateur...
Quelle est ta réaction?
Je pense qu'il y a une erreur
de lecture de leur part, mais elle est intéressante; ils n'ont
pas encore complètement compris que les sociétés
sont effectivement des machines darwiniennes, sauf qu'elles se retournent
contre le processus même du darwinisme. c'est a dire que les sociétés
sont des machines à conserver, c'est leur nature, elles vont privilégier
la moyenne, le moment ou une société devient civilisation
c'est le moment ou un certain nombre d'individus, qui ne se connaissent
pas obligatoirement, vont pouvoir créer et faire violence à
cet ordre des choses, précisément. Eux ils pensent que ce
sont les êtres humains les plus adaptés qui sont le plus
aptes à survivre, moi j'ai plutôt tendance à penser
que ce sont les moins bien adaptés qui seront, dans le future,
les plus aptes à survivre, les moins bien adaptés selon
le principe du Darwinisme tel qu'il existe encore aujourd'hui, ils n'ont pas encore intégrer
les notions de paradoxe, ils n'ont pas encore intégrer le fait
que l'homme, dans la nature, représente un phénomène
négatif, qu'il y a un processus où la nature passe à
un système critique, que l'homme est ce système critique
de la nature, qu'il n' y a pas de finalité théologique dans
l'homme, ce qui n'empêche pas l'homme de produire du sens puisque
précisément il est une machine à produire du sens.
C'est bien parce qu'il est là qu'il produit du sens, parce qu'il
est une machine à produire du sens. Le truc qu'il me semble absolument
évident, c'est qu'ils ont raison mais il faut inverser la proposition.
Au demeurant, c'est une expérience passionnante. Comment par rapport à ça expliques tu des expériences
aussi traumatisante que Auchitz, Nagasaki ou Hiroshima?
Je fais une différence
entre les deux, je devrais dire des hiérarchies. Auchwitz
a une part d'inexplicable, en même temps, j'imagine que malheureusement
on pourrait en venir à penser que la spécificité
du génocide industriel juif par les nazis tient à ces détails
que sont par exemple le fait que l'Allemagne et la Pologne avaient un
réseau ferroviaire absolument génial, d'une cohérence
et d'une densité importantes. Il n'y aurait certainement pas eu
Auchwitz si d'une part il n' y avait pas eu le Zyclon B
et si d'autre part il n' y avait pas eu les voies ferrées. Je pense que ça ne tient pas qu'à cela, non plus...
Tout à l'heure tu faisais référence à Hannah
Harendt et je pense qu'effectivement elle a soulevé un vrai problème,
celui de la conscience: Eichmann, un homme comme tout le monde.
Le problème, sans
doute, est que Eichmann devait être un très bon acteur.
Uniquement à Nuremberg... et il n'était pas qu'un acteur
mais un "acteur" (au sens de celui qui agit)
Oui à Nuremberg précisément,
il a joué son rôle aussi de technicien, c'était déjà
le rôle qu'il jouait vis à vis de sa famille certainement,
et vis à vis du système. Mais d'après ce qu'on sait,
c'est aussi quelqu'un qui pouvait exprimer une réelle brutalité
dans ces moments, dans ces lieux où tout était permis, sauf
que peu de témoins peuvent le relater. Son rôle dans la machine
était celui d'un technicien mais tout le nazisme était basé
là dessus, c'est a dire: comment faire de chaque individu un technicien,
un petit bout de la chaîne des responsabilités. Ceci a été
depuis longtemps bien décrypter, il n'y a plus grand chose à
ajouter là dessus. Auchwitz reste momentanément un
peu inexplicable, je pense que les générations futures auront
un regard assez froid là dessus. Au XXième siècle,
il y a des gens qui ont pu choisir de mener une campagne d'extermination
systématique sur une population qui vivait sur leur sol, pour une
grande partie, tout ceci résulte d'une simple combinaison d'un
réseau ferroviaire et de quelques inventions techniques.
J'aimerais en revenir à ce qui se passe aujourd'hui au Kosovo.
Qu'en penses tu?
C'est difficile de répondre
à cette question. Je vois plusieurs niveaux de lecture à
un phénomène comme celui-là, d'abord en premier lieu
je vois la revanche d'une sorte de fatalité historique, Milosevich
a ouvert une boîte de Pandore en prétendant qu'il
était légitime que tout Serbe vivant en dehors de
la Serbie, pouvait revendiquer une partie du territoire où il vivait;
et que toute communauté serbe vivant en Croatie, en Bosnie, pouvait
se détacher de cette entité là pour rejoindre d'une
manière plus ou moins déguisée l'entité serbe.
Et puis évidement les albanais peuvent revendiquer les mêmes
choses, les Kosovars en particulier. Donc évidemment, il
a commencé cette guerre pour et par le Kosovo, il va la terminer
pour et par le Kosovo, il y a comme des espèces de fatalités,
parfois dans l'histoire quand tu ouvres des boîtes, pour rester
au pouvoir dans le simple but de rester au pouvoir. C'est comme une justice
immanente.
Il
nous reste encore une bande entière à retranscrire pour
finir cette rencontre avac Maurice DANTEC. Ce sera fait "as soon
as possible"...
En
attendant vous pouvez retrouver Maurice DANTEC sur de multiples "noeuds"
du réseau tels:
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